samedi 24 décembre 2016

Lecture (neurosciences) : Vilayanur RAMACHANDRAN : "LE CERVEAU FAIT DE L’ESPRIT –ENQUÊTE SUR LES NEURONES-MIROIRS", Dunod, 2011.







Pour l’éminent professeur Vilayanur RAMACHANDRAN, ce tamoul indien ayant manifestement reçu une formation très britannique, le cerveau humain est un objet non seulement d’étude, mais encore de fascination certaine. Lui qui le connait pourtant du mieux qu’on puisse le connaitre dans l’état actuel des choses, ne jette-t-il pas, vers la fin de cet ouvrage qui compte près de 400 pages, l’exclamation Ah ! Nous savons si peu de choses sur le cerveau ! 
Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que l’Homme soit, pour l’Homme, une énigme des plus déroutantes, un être qui parvient nettement mieux à expliquer la marche du monde physique inanimé et même, dans une certaine mesure, animé qui l’entoure ( théories de la relativité, mécanique quantique, Big bang, théorie des cordes, théorie du chaos, théorie de l’information, théories de DARWIN et de Stephen Jay GOULD, théorème d’incomplétude de GÖDEL…) que son propres fonctionnement et sa propre nature fondamentale.
Traversé de part en part par une intelligence étincelante et audacieuse, voire géniale, ce livre fourmille de connaissances inattendues et d’hypothèses très plausibles et, en dépit de son ton légèrement doctoral, un tantinet professoral, vaut vraiment le coup d’être « étudié ». Il n’est, au reste, nullement dénué d’humour et d’allusions personnelles, qui ont le don de l’ « humaniser ». La double culture du professeur a largement ouvert son esprit, déjà subtil et souple (comme tout esprit indien qui se respecte) et démesurément curieux. L’esprit d’un individu issu d’une culture hindoue ne peut être qu’à l’aise avec la complexité extrême, que l’auteur semble ressentir comme une sorte de « défi ».
Aux yeux de Ramachandran, le grand singe n’est que le « point de départ » de l’Homme, et un fossé à jamais impossible à combler sépare l’espèce humaine de ses cousins primates actuels. Il invoque même, à ce propos, un phénomène qu’on appelle, en science physique, « transition de phase ».  L’Homo sapiens aurait fini par émerger de la gent simienne comme L’eau gelée […] se mue en eau liquide, suite à des millions d’années d’infimes améliorations neuronales progressives chez les grands singes, puis, ensuite, chez les Hominidés qui en descendirent. Tout ceci uniquement du fait de la sélection naturelle, l’ennui étant qu’à l’heure qu’il est, l’absence de toute forme intermédiaire vivante entre le chimpanzé ou le bonobo (presque bipède) et l'être humain fait cruellement défaut aux enquêteurs scientifiques.
Le cerveau doit donc s’expliquer dans une perspective évolutionniste. Pour étonnant et spécifique qu’il soit, notre cerveau ne possède rien de surnaturel. Il est à la fois un tout et un « objet » des plus hétéroclites, reposant sur des réseaux de connexions multiples et fragiles aux enchevêtrements inouïs se divisant toutefois en « aires », en modules (à savoir en « paquets de neurones ») bien délimités qui communiquent par des impulsions nerveuses et qui, on le sait à présent, régissent, de manière extrêmement « pointue », les moindres de nos activités, de nos réactions, de nos perceptions, de la plus basique à la plus sophistiquée.
Extraordinaire ? Naturel ? Cela n’a rien d’incompatible. Mais assimiler cela demande, me semble-t-il, un certain effort intellectuel.
Quoique, bien sûr, il mentionne notre enracinement dans la lignée primate, l’auteur est trop émerveillé pour ne pas insister sur notre spécificité humaine, pour ne pas l’exalter en regard de la condition des simples singes. En cela, on pourrait quasiment opposer son angle d’approche à celui d’un autre scientifique, le primatologue néerlandais Frans DE WAAL dans son fameux ouvrage (nullement provocateur) LE SINGE EN NOUS. Mais il n’en suggère pas moins qu’ « au commencement était (probablement) la branche », la vie arboricole propre à notre lignée, depuis ses émergences lémuriennes, de même que la vie en groupe.
La perception humaine, que l’on prend communément pour l’apanage de nos cinq sens est, dans les faits, très largement du ressort de la masse cérébrale. Le cerveau est le vrai maître de la perception.
Chez l’HOMO SAPIENS, d’une certaine façon, « tout est dans le câblage », dont la complexité permet une grande souplesse et, dans nombre de cas, réserve bien des surprises, car elle donne lieu à de nombreuses différences interindividuelles. Il existe, en effet, des câblages étranges, inhabituels (voir, par exemple, le cas de la synesthésie). De même, certains « branchements » qui existent entre les fameux « modules peuvent se trouver désactivés, ou empiéter les uns sur les autres, neuronalement parlant.
C’est bien le cerveau qui construit le sens du MOI, le sens de l’incarnation, tant au niveau conscient qu’au niveau inconscient, interne, organique (La moitié postérieure de [l’insula] combine les multiples signaux sensoriels – incluant la douleur – provenant des organes internes, des muscles, des articulations et des organes [du sens de l’équilibre] de l’oreille pour générer un sens inconscient d’incarnation.).
Il n’empêche : le caractère très divisé de notre cerveau est indéniable, en sorte que l’hémisphère gauche tente [constamment de] préserver la cohérence du moi et la stabilité du comportement (d’où l’affabulation, le déni et les illusions observées en psychiatrie).
Complexe, donc divisé ; cela parait logique.
Rien qu’entre la « triade » cerveau reptilien/ cerveau limbique (où siègent les émotions)/néocortex et l’ « opposition » complémentaire entre le cerveau droit et le cerveau gauche, il n’y a déjà pas à s’étonner que nous abritions de multiples « JE », de multiples « AUTRES » et de multiple jeux de neurones-miroirs. Il est intéressant aussi de constater que notre empathie (inexistante chez certaines gens comme les autistes ou les sociopathes, sans doute du fait d’une pénurie de neurones-miroirs, ou neurones du mimétisme, qui font de nous les animaux les plus reliés à leurs congénères qui soient dans la nature) se trouve contrecarrée, bloquée par notre cortex frontal, sans quoi nous perdrions à la fois le sens de notre propre existence et celui de celle de l’autre.
[…] Arthur D (Bud) Craig, du Barrow Neuronogical Institute de Phoenix a suggéré que l’insula postérieur enregistrait seulement des sensations rudimentaires inconscientes, qui ont besoin d’être « re-représentées » sous des formes plus sophistiquées dans l’insula antérieure pour que vous puissiez expérimenter consciemment votre image corporelle ; le cortex préfrontal est, lui, impliqué dans les aspects conceptuels du moi, de même que le lobe pariétal) ; il est responsable d’un sens vivace du corps animé qui agit consciemment.
Certaines parties du cerveau parfaitement identifiées construisent également des cartes sensorielles représentant chaque partie du corps, avec une nette exagération du pied, de la main, du visage (et, dans le visage, de la bouche) doublée d’une disposition très curieuse puisque le pied (non, je ne rigole pas !) y jouxte les organes génitaux et la main y jouxte le visage.
Ces étonnantes découvertes sont très récentes (la révolution neuronale est en marche !) et nous les devons à l’étude (à laquelle le Pr Ramachandran s’est énormément dédié) de divers dysfonctionnements cérébraux (qu’ils soient d’origine génétique, dus à des accidents graves de santé tels des AVC ou encore des tumeurs cérébrales – ou à des amputations de membres) qui se traduisaient dans le domaine sensori-moteur et donnaient souvent lieu à des phénomènes passablement bizarroïdes (ex : le membre ou le jumeau fantômes), lesquels intriguaient fort les spécialistes. C’est l’anormalité, ici, qui a fait avancer la science, conjointement avec l’émergence d’extraordinaires nouveaux moyens techniques : l’imagerie cérébrale et la mesure de la micro- sudation (RED) qui trahit toujours nos réactions émotionnelles, même les plus réprimées.
L’auteur se penche (et lève le voile) sur un assez large spectre de phénomènes qui, jusqu’alors, constituaient de véritables « casse-têtes » : l’AUTISME, la CRÉATIVITÉ, la SYNESTHÉSIE, le GÉNIE, le LANGAGE, l’ART, l’INTROSPECTION, la PERCEPTION, le SENTIMENT DU MOI et les PROBLÈMES D'IDENTITÉ (qu’ils soient d’ordre sexuel ou autre), les STADES DISSOCIATIFS, ou les expériences de SORTIE DU CORPS.
Les neurosciences vont-elles bientôt rendre la psychologie (même cognitive et comportementale) caduque ?
Je n’aurais pas la prétention, bien sûr, d’apporter une réponse. Toujours est-il que tout ceci conforte l’idée que l’unité de notre mental est plutôt quelque chose de fragile. Ramachandran va jusqu’à valider la notion freudienne d’inconscient et répond, en quelque sorte, scientifiquement, à de nombreuses questions qu’abordait FREUD, tout en rejetant, évidemment, tout le reste du fatras psychanalytique et même une bonne partie de la nosologie psychiatrique officielle.
On peut peut-être lui reprocher (quoiqu’il s’en défende) de chercher à tout expliquer, à tout « décortiquer » et de ramener un peu tout à sa perspective scientifique propre. Pourtant, curieusement, il n’écorne en rien l’insondable mystère spirituel.
Il n’y a pas, selon lui, de « dessein intelligent » à l’origine du cerveau, de ses capacités réflexives, raisonnantes (et autres)…Mais cette complexité unique, d’une tortuosité singulière, s’étonnera toujours de se propre existence.
Comment définir l’essence (rasa, pour reprendre le terme sanskrit utilisé, à un certain moment, par l’auteur) d’un tel phénomène ? Est-ce possible ?








P. Laranco.


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