mardi 19 avril 2016

Lecture (sociologie) : Laurent JOFFRIN, "HISTOIRE DE LA GAUCHE CAVIAR", Robert Laffont, 2006



Bref, elle exaspère, nous est-il dit, d’entrée de jeu, page 17. De qui s’agit-il ? Comme l’indique très clairement le titre de cet essai non pas écrit par un historien (n’en déplaise à sa formulation) ni même par un sociologue ou un philosophe, mais par un journaliste parisien à l’esprit fort brillant, qui rejette avec aplomb les thèses classiques des historiens et des sociologues pour se livrer à un plaidoyer pro domo à coup d’exemples biographiques bien choisis.
Depuis son émergence, au siècle des Lumières (ce n’est pas rien) la « bourgeoisie éclairée » à l’esprit individualiste et très fréquemment franc-maçonne du monde occidental a œuvré en faveur du sacro-saint « progrès » et changé le monde en défendant pieusement et de manière totalement désintéressée (par pur esprit de justice à fleur de peau, comme d’idées) les intérêts du peuple écrasé par les rois absolus, puis par le nouvel absolutisme de la Révolution industrielle aux lois non moins cyniques et dures. C’est, à tout le moins, ce que nous brosse, avec un certain enthousiasme, l’auteur de ces pages.
D’après JOFFRIN, C’est au cœur de la haute société que sont nées les idées nouvelles […]. Je le crois sans mal : pour penser comme il faut, il faut avoir du temps et l’argent, la position sociale qui garantissent un minimum de sécurité matérielle, d’instruction et d’assurance, de même que, pour que vos pensées puissent se diffuser et donc, exercer une quelconque influence (notamment sur ceux d’en haut, ceux qui détiennent le pouvoir), il est indispensable de disposer de tout un réseau de « relations bien placées ».
Et quid du peuple dans tout cela ?
Quid de ses soulèvements multiples, depuis l’aube de « l’Ancien Régime  » ?
Eh bien, le peuple n’aurait été, à en croire cet auteur, en tout et pour tout, qu’un pauvre élève un peu abruti (sinon beaucoup) fiché bon gré mal gré sur les bancs d’une méritoire école, qu’il fallait éduquer, discipliner et maîtriser, en raison de sa force brute et de sa tendance aux débordements.
Ne pourrait-on pas « retourner », judicieusement, l’argument de Laurent Joffrin (qui, d’une façon, je le répète, plus qu’ évidente, prêche pour sa paroisse et semble mû, de loin en loin, par un besoin de « sonner l’alarme » qui n’est pas sans rappeler la panique) en présentant cette gauche aisée, mondaine, « raisonnable », grande prêcheuse de réformisme, de réconciliation et de concorde et paternaliste en diable, non comme une catégorie, un « clan » si épris de justice qu’il le prétend, mais, bien plutôt, comme une sorte de « roue de secours », de « cheval de Troie » d’un système dominant (l’empire de la bourgeoisie) qui, certes, n’a jamais manqué de ressources auto-protectrices, ni de jugeote, de sens du calcul ?
Pour les bourgeois, il ne fallait bien évidemment pas que leur système économique et politique, une fois triomphant, courre le risque de disparaître, de se voir renversé. Joffrin l’avoue d’ailleurs, par le biais de cette phrase on ne peut plus révélatrice : La réforme pour prévenir la révolution.
Voilà où est le cœur du problème. Veut-on changer le système, ou sauver, prolonger une organisation socio-économique qui, qu’on le veuille ou non, est en train, en ce beau XXIe siècle, de mener l’humanité et la planète même droit dans le mur ?
Aujourd’hui, constate Joffrin (il en pleurerait presque), l’intellectuel de gauche est mort.
Même si MARX se fourvoyait en prétendant que la marche de l’Histoire se réduit à  « la lutte des classes » et si, tout du long, l’auteur nous martèle que « le grand Karl » fut un « vilain garçon » prodigue en « chants de sirènes » funestes, les actuels héritiers de VOLTAIRE, tant en France qu’aux Etats-Unis, sont devenus pour leur part, depuis la décennie 1990, l’objet d’un ressentiment et d’une détestation  généraux. On n’y croit plus. En France, on ne voit plus en eux, en tout et pour tout, que ce qu’ils sont : une élite de riches salonnards parisiens, désinvoltes, poseurs, hédonistes, libertaires, américanisés (voire « mondialisés »), pétris de contradictions presque autant que de  bonne conscience  et, par-dessus le marché, angéliste, molle et donneuse leçons d’humanisme.
Quelle chute vertigineuse ! Où est le prestige d’antan (que regrette amèrement Joffrin) ?
Non seulement cette camarilla (extrêmement fermée) qui côtoie de près et influence tous les pouvoirs en place ne cultive plus pour les classes populaires (suspectées de conservatisme, quand ce n’est pas de pure et simple dangerosité – on se croirait, du coup, revenu au XIXe siècle) –, qu’elles s’incarnent dans les « petits Blancs » (« tous d’affreux beaufs sexiste, xénophobes et homophobes ! ») ou dans les populations « issues de l’immigration musulmane » ad vitam aeternam (« tous de potentiels terroristes assoiffés de sang », après avoir été, pendant longtemps, l’objet d’un entichement tout de surface) la moindre sympathie, mais, de surcroit, elle a accompli l’ultime trahison de tourner casaque (tomber le masque ?) en ne pensant plus, à présent, qu’à « faire de l’argent » de façon très « décomplexée » et en abandonnant tout ceux qui « n’en sont pas » à « l’ascenseur social bloqué ».
Dégénérescence ? Ou évolution, après tout, tout ce qu’il y a de logique ?
L’escamotage du peuple [français] et l’indifférence quasi-totale envers le fossé de plus en plus énorme et de plus en plus susceptible de déclencher des ébranlements mondiaux (la « crise des réfugiés » économiques et politiques que nous vivons en ce moment même, en Europe, n’est-elle pas là pour en témoigner ?) qui continue, bon an mal an, de se creuser entre l’insolente prospérité occidentale et le restant de la planète n’étaient-ils pas à prévoir, compte tenu de la nature même de la gauche caviar franc-maçonne ? Cette dernière n’avait-elle pas, par essence, du fait de ses postures ambigües – comme le suggère, au reste, plus ou moins entre les lignes, notre essayiste – vocation à la trahison ?
N’illustrerait-elle pas à merveille cette paraphrase du « qui a bu boira » qu’est le « qui a trahi est voué à retrahir » ?
Le peuple ne serait-il enfin plus dupe ? Ma foi, on le dirait bien.
Là où je tombe d’accord avec monsieur Joffrin, c’est lorsqu’il concède que lui et ses pareils ont un certain mouron à se faire ; de même que la démocratie. D’où, peut-être, le souci si marqué de réhabilitation des Bobos qui imprègne cet ouvrage et qui, manifestement, s’appuie tant sur le traditionnel (et souvent béat) sentiment d’autosatisfaction que sur une condescendance paternaliste à l’état diffus, affleurant à l’endroit de « la France d’en-bas » bien propres à la « caste » qu’il dépeint et qui n’est autre que la sienne.
Décidément, on n’en sort pas…




P. Laranco.

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