vendredi 8 août 2014

L'ENVIE DE VOMIR d'Umar TIMOL.


L'ENVIE DE VOMIR (I).




Cela lui a pris un jour, comme ça, sans raison, une furieuse envie de vomir, une irrésistible envie de vomir, non pas vomir de la matière mais toute cette pourriture qui est en elle, accumulée depuis des années. Cela lui arrive à des moments inattendus, quand elle est dans le bus le matin ou quand elle est au travail, au beau milieu d’une réunion, elle a alors le plus grand mal à se contrôler, il se produit comme une éruption en elle, il y a comme de la lave qui bouillonne en elle, qui pourrait à tout moment rompre son corps. Pour en venir à bout, elle se met à respirer très fort et elle tente de penser à de belles choses, cela la calme un instant mais pas tout à fait. L’envie de vomir la reprendra tout à l’heure. Elle ne peut malheureusement en parler à qui que ce soit car son vomi n’est pas conventionnel, elle ne souhaite pas vomir de la matière mais des mots. Ce sont bien des mots qui jaillissent de son corps, des milliers de mots, des mots qui sont, au fait, toute cette pourriture qui est encroutée en elle. Quand cette envie lui prend et qu’elle est seule, elle se met alors à écrire et elle ne peut pas s’arrêter, elle doit vomir tous les mots sur la page, des milliers de mots. Elle se sent alors soulagée mais elle sait que cela ne durera jamais très longtemps, le désir de vomir est plus fort que tout, il cessera quand il ne restera plus rien en elle, quand elle sera purifiée. Elle se demande si cela est seulement possible. Est-ce qu’on peut ainsi purifier son corps, le purifier de fond en comble ? Ou est-ce qu’il restera toujours les réminiscences de la pourriture. C’est d’autant plus compliqué que cette pourriture n’émane pas de son corps, ce n’est pas son corps qui la fabrique mais le monde autour, tout ce qu’elle voit, tout ce qu’elle entend, tout ce qui l’agresse. La pourriture n’est pas en elle, elle provient de l’extérieur et elle s’immisce dans son corps. Mais c’est une greffe qui ne prend pas. Son corps inéluctablement rejette cette pourriture qui a la forme des mots, son corps ne peut s’en accommoder. Elle aimerait pourtant qu’il en soit autrement. Ce serait tellement plus simple. Elle sait que c’est ainsi que les autres procèdent. Ils apprennent à vivre avec cette pourriture, ils l’escamotent, l’oublient ou l’intègrent à leur quotidien, ils n’en font pas un plat, de toute façon ils n’ont pas le choix, vomir en les circonstances ne servira strictement à rien, parfois ils deviennent eux-mêmes pourriture, ils disent que c’est une question de survie, soit on devient pourriture, soit on crève. La pourriture ou la mort. Mais son corps est réfractaire à la pourriture, il s’y trouve sans doute des gènes qui rendent tout compromis impossible et elle se doit d’obéir à son corps. Et elle est, somme toute, fière de son corps, corps noble. Il n’en reste pas moins qu’il lui inflige pas mal de souffrances. Elle se demande si un jour il s’arrêtera de vomir des mots. Sans doute pas car il faudra alors que le monde change radicalement. Et ce n’est pas demain la veille. 


Mais quelle est donc cette pourriture qui est en elle ?










Umar TIMOL.

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