lundi 28 octobre 2013

" RIRE ", un texte de Patricia LARANCO.

Parfois, elle riait toute seule.
Une sorte de gloussement sec, de couinement haché, moitié rentré dans son menton. Il lui échappait, il fusait, comme une constatation intime.
Pourtant, il était sans objet. Ou avait peut-être trop d'objets. Trop d'objets...en un seul et unique objet qui, dans le fond, n'était autre que le monde.
Mais lorsqu'elle éternuait ainsi son petit rire, elle était heureuse. Elle avait l'impression d'être d'une légèreté suprême, sans pareille. Et cependant, elle ignorait d'où lui venait ce sentiment. Elle ne savait ni pourquoi elle riait, ni surtout pourquoi le fait de cracher ce rire l'allégeait de la sorte.
Il lui arrivait même, certaines fois, de hausser les épaules en riant. Presque de façon spasmodique. Comme si cela devait nécessairement aller ensemble : secouer l'épaule et rire.
Elle se mettait à considérer les choses qui se tenaient immobiles, bien sagement, en face d'elle. Et puis le poids du silence amassé en elles lui sautait aux yeux. Et ça venait.
Cela venait. Tout naturellement. Du fin fond de sa tête vide. De sa tête vide et juste légèrement inclinée, penchée de biais. Plus elle regardait les choses, plus elle avait l'impression de ne pas les voir. Plus elle les fixait, moins elles lui semblaient d'une nature propre à être examinées.
Allez savoir si ce n'était point cela qui déclenchait la petite salve de rire discordante !
On pouvait certes rire de tout.
Alors pourquoi pas de l'inertie ambiante et de son absurdité diffuse ? Pourquoi pas des choses une à une, et/ou de l'ensemble qu'elles formaient ?
Pourquoi pas de la concentration du silence, en elles, hors d'elles...par elles ?
Était-ce une façon de répondre à cette forme de défection grandiose ?
A vrai dire, essayer de réfléchir plus avant ne servait à rien.
Il suffisait de voir - et de prendre note, sans fanfare ni trompettes - du fait que, dans son compact, dans l'expression de sa masse même, le monde - cette "collection" de choses, d'objets (d'objets à observer) plus ou moins reliés, cimentés entre eux, coiffés et comme parachevés par cette émanation globale, invisible, mystérieuse qui résultait de leur addition, du tout qu'elles formaient (peut-être)- était lourd, en fait, d'un silence (d'un vide ?) qui en disait bien long sur l'absurdité, sur l'espèce d’absence, voire de dérision secrète, qui l'habitait .
Oui, peut-être. Peut-être qu'elle gloussait, parce cela sautait aux yeux. Tout en continuant envers et contre tout à ne pas vouloir se révéler en pleine lumière.
Parce que la Vérité est toujours une entité qui joue à cache-cache. Une sorte de suintement interstitiel qui, par intermittence, se faufile.
Mais on n'en sait jamais vraiment quoi faire, de la Vérité.
Elle rôde, aérienne, diaphane, dans le tissu des choses. Tel un hiéroglyphe.
On voudrait l'attraper, à pleines mains, s'en saisir une bonne fois pour toutes. Toutefois dès qu'on en tient ne serait-ce qu'une miette au creux de ses paume, une pépite entre ses doigts refermés, comme elle nous encombre !
Alors mieux vaut la laisser à distance...comme on le fait des bêtes. Comme ces lutins, ces trolls qui, quelquefois, s'approchent un peu trop près, quoique, cependant,jamais plus qu'il ne faut; juste histoire de faire un clin d’œil. Un sourire-flash...et puis s'en va.
Oui, la laisser, simplement, pointer son museau entre les hautes herbes ....tiens, par exemple, comme on le ferait, l'été, en promenade le long d'un pré désert engorgé de soleil et de graminées en désordre, de silence grésillant, lorsque l'on surprend la présence furtive et inattendue d'un renard, à demi dissimulé à quelques pas de vous et totalement immobile juste à l'orée du petit bois le plus proche, où se massent les ombres.



P.Laranco.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire