jeudi 1 août 2013

Un ARTICLE sur le RECUEIL DE POÈMES de Richard TAILLEFER : « L’ ÉCLISSE DU TEMPS », par Patricia LARANCO.

Richard TAILLEFER : « L’ECLISSE DU TEMPS », Editions Dédicaces, 2013


Le sens ultime du monde serait-il dans le temps ? Dans l’éphémère, dans l’effacement inéluctable ?
Faut-il voir là – en quelque sorte – l’épine dorsale de l’univers ?
Telle me semble être l’interrogation centrale – quoique plus ou moins sous-jacente et résurgente – autour de laquelle s’organise ce recueil de poèmes.
Le temps (Temps ?) est un mystère, une énigme que nous portons en nous, un trait commun que nous partageons avec l’ensemble de la nature. Et donc, la poésie ne peut qu’être recherche de son essence…
Richard TAILLEFER possède, du temps, une conscience exacerbée. Une conscience qui a pour première vertu d’entretenir le feu de sa lucidité un peu tiraillée, simultanément fataliste et sur le qui-vive. En constant éveil.
Obnubilé (il l’exprime de façon nostalgique) par l’Origine – laquelle est forcément a –temporelle-, il voit, en le voyage des instants qui se succèdent sans pause, une force de dérive, d’exil qui tisse la mouvante, friable, instable substance de notre vie, de notre être.
A quoi se raccrocher ?
A pas grand-chose, nous murmurent ses mots.
Car nous ne sommes en tout et pour tout que flux et reflux, à l’intérieur du vide énorme. Que conscience douloureusement interrogative, tragiquement avide de sens, qui voudrait  vivre de toute part / Ressentir de toutes les manières  mais qui, en attendant, n’en continue pas moins à affronter sa propre incomplétude, ses rêves d’infini par nature condamnés à la frustration.
Pourrons-nous être / Comme nous devrions être  ?
Certes non, car tout ce que nous vivons, nous le vivons Tant bien que mal. Dans un monde à la peau mouvante, fluctuante, qui ne conserve jamais aucune vraie marque. Car, au bout du compte, tout ce qui nous baigne s’éloigne à grands pas de nous.
Autant dans sa propre vie que dans le cadre qui la ceint, la conscience titube. Elle a fait de nous autres, êtres humains, des êtres à part – Etrange drame. Peux-tu exister clairement / Sans avoir à y penser ?
Y a-t’il quelque chose à comprendre, alors qu’on sait pertinemment que rien n’est jamais de nature définitive, arrêtée une bonne fois pour toutes, que tout se perd, à un moment ou à un autre, dans le changement, dans le bouleversement, dans l'anéantissement de l’oubli et qu’en définitive, tout se ramène aux sables mouvants de l’incertitude  (Comment était le visage de la mère ?) ?
Derrière l’art consommé de la densité des mots dont témoigne Richard Taillefer, il y a le doute. Un doute dont il sait, cependant, faire ressortir toutes les richesses. Un doute qui laisse parler toutes les ambigüités, toutes les énigmes.
Méditatif, contemplatif, grave, profond, triste ou sensuel dans certains cas, en un mot comme en cent fidèle à lui-même, Richard Taillefer se voudrait en harmonie avec le monde. On le sent fasciné par sa charge de complexité, hanté par ses mille et un entrelacements de paradoxes. Souhaite-t-il les déchiffrer, les rendre enfin accessibles à son entendement et à son ressenti, ou souhaite-t-il en conserver intacte l’aura chatoyante et ineffable d’insondable mystère ? Un peu des deux…
L’écriture du poète Richard Taillefer épouse sa pensée : humble, contrôlée, vierge de certitudes, forte. Une écriture à ciel ouvert.
L’homme sait parler des choses simples, denses, chaudement présentes et quotidiennes. Il sait communiquer la tendresse profonde qu’elles lui inspirent.
Mais – mieux encore – par-delà cette tendresse, il sait les transcender. Leur conférer une dimension autre, neuve, singulière ; toute personnelle mais lourde de sens.
S’il s’éparpille, ce n’est jamais pour perdre son « fil conducteur » de vue.
Son texte – dirait-on – colle à la richesse de la vie elle-même.
Vie-voyage. Voyages de vie.
Transhumance des corps qui sillonnent, en fait aux trois quarts à l’aveuglette…sable, qui recouvre nos paroles…et n’est-ce pas très bien ainsi ?
Doit-on vraiment regretter que l’infini qui hante mots et monde nous renvoie toujours, en dernier ressort, à toute l’étendue de nos limitations ?
Le vertige d’infini n’est-il pas jumeau du vertige d’impuissance ?
Oui, il y a le Temps et il y a le temps qui nous est imparti. Le fait que nous ne pouvons jamais concrétiser qu’un nombre ridiculement infime de possibles.
Il y a Cette angoisse qui vous prend à la gorge, faute de pouvoir…
Mais aussi, à côté de cela, il y a l’existence ; son PLEIN.
Il y a le simple fait de s’abandonner à la plénitude de vivre, à la rassurante vigueur terrienne et à l’épaisseur concrète, sensuelle. Le fait de simplement laisser les choses – réelles, vigoureuses, épaisses – suivre leur cours, si élémentaires soient-elles.
Plénitude…ou incomplétude ?
Qui sait ? Et pourquoi faire un choix ?
Ne suffit-il pas d’exister pour être complet ?
La réalité est entière // Mensonge et certitude / visible et obscure // Le monde porte sa propre vérité / Et je ne la perçois pas. Constat, aveux qui frappent par leur humilité fulgurante. Phrases de sagesse absolue, qu’on voudrait presque apprendre par cœur. Ces termes-là ne sont plus seulement d’un poète, mais d’un penseur…d’un homme qui a appris et définitivement intégré l’idée que, de toute façon, la Connaissance nous est, par essence, impossible.
Alors, où apaiser l’esprit ? L’être harcelé par la pensée ?
Sinon par la présence au monde ?
Entre présence au monde et doute ; entre adhésion et réflexion.
Richard Taillefer nous donne un livre très riche, tant par la subtilité, l’acuité philosophique de la pensée que par la netteté, l’inflexible dépouillement qu’il insuffle à son verbe.




Patricia Laranco.
Le 01/08/2013.

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