vendredi 23 août 2013

"LA PLUIE ET LE SILENCE", texte de Patricia LARANCO.

La pluie s’éloigne à pas de loup.
Le silence, peu à peu, lui succède. Silence mouillé, en suspens sur chaque lourd paquet de feuilles assombries formant comme un hématome vert…
On sent s’étirer un immense vide, une énorme distanciation. Une solution de continuité où rien ne peut plus venir prendre place. On peut lui choisir n’importe quel qualificatif pour nom de baptême : manque, rupture, interruption, pourquoi pas même « no man’s land »…en fait, cela importe peu.
Aucun mot n’a prise sur elle.
C’est un peu comme si le fil invisible de l’espace s’était soudain tendu… tendu à l’extrême à la manière d’un élastique que l’on tirerait…et puis, ensuite, s’était, toujours à la façon de cette ligne de caoutchouc si férocement étirée, rompu dans un claquement brutal.
Et en voici le résultat : cet affaissement, cette longue béance linéaire, cette série implicite, complètement intangible de pointillés qui flotte, dérive en lieu et place de ce qui, auparavant, remplissait le rien de quelque chose.
Maintenant, ne subsiste plus qu’une sorte d’ample vibration qui se prolonge. S’autoféconde en une suite sans fin d’élargissements fractals.
Un grand éventail d’ondes (bien sûr à peine discernables) dont on croirait qu’il cherche, en se répandant, en s’évasant, en s’élargissant de la sorte, à suturer envers et contre tout les deux extrémités de plus en plus désespérément distantes l’une de l’autre, du vaste intervalle voué au vide.
Le silence met au défi les oreilles attentives de l’entendre. Mais, en un sens, nous le captons, oui, nous le décelons déjà.
Il s’exprime au travers de ce flottement d’hébétude sans mesure.
Il est là ; contenu dans la masse ouatée, blanche et vague du silence elle-même.

Le silence est peut-être une séquelle, un résidu du son des pluies.
Quoiqu’il en soit, quelque chose s’est modifié ; s’est fracturé.
Une bonne part de la substance, de la présence du monde a fui. Une part importante de la pesanteur du monde s’est évaporée.

Le silence est une flèche oblique, pointée vers les confins, les brèches.
Son souffle froid, informe, atteint le stade du moutonnement. Et pour cause…puisqu’il marche en crabe.
Que mettre en lieu et place des désertions,  des reflux, sinon l’étendue de sa douceur molle ? Qu’insérer, hors sa massive attente ventrue, digestive de bête brute, lorsque planent, stagnent l’incertain et ses profils tout pâles, tout gauchis, tout nimbés d’hésitation ?
Qui sait pourquoi, en s’éclipsant, la pluie laisse un dépôt de silence ?




P. Laranco.

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